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LE KAISER_banderole rétractable

Dans la théorie des trois mondes du philosophe autrichien Karl Popper (1991), le premier monde est celui des objets, de la matière physique telle qu'elle apparait à nos sens, sans égard pour une éventuelle fonction utilitaire dans un système donné, qu’elle soit fabriquée par la volonté d’autrui ou naturellement conçue. Bien évidemment, nous humains, faisons aussi partie de ce monde; nous y sommes incarnés (Popper, 1991, p. 181).

             

Le deuxième monde ainsi que le troisième monde sont composés d’objets immatériels. Malgré tout, ils exercent une influence importante sur le premier monde (Popper, 1991, p. 248). Ces deux mondes hébergent ensemble la connaissance (Popper, 1991, p. 185). On considère d’ailleurs en épistémologie que la connaissance et la pensée ont chacune deux faces : le sens subjectif et le sens objectif (Popper, 1991, p. 185).

 

Le deuxième monde concerne le sens subjectif de la pensée (Popper, 1991, p. 188). C’est là que se situent les émotions, les états d’esprit et les états de conscience qui influencent et conditionnent nos comportements et notre pensée (Popper, 1991, p. 185). Le troisième monde est celui de la connaissance objective (Popper, 1991). Les contenus objectifs de pensée, principalement scientifique, partagent cet espace avec la pensée poétique et les œuvres d’art (Popper, 1991, p. 182).

 

Selon Popper, le troisième monde, celui de la connaissance objective, se développe grâce à notre interaction avec lui depuis notre position dans le premier et le deuxième monde (1991, p. 253). C’est donc dans cet espace qu’entre nous, objets humains, et les objets qui composent la connaissance objective se génère tout ce contenu objectif.

 

De par sa conception provenant d’une interaction entre deux objets et à cause de son immatérialité, le monde de la connaissance objective est tout désigné pour interpréter l’information contenue dans un événement. Il est ainsi possible de dégager de l'interaction entre les trois mondes une structure logique objective des événements (Popper, 1991, p. 186). Doté des mêmes caractéristiques d’immatérialité et de naissance à partir de l’interaction entre des objets, un événement recèle le potentiel de se qualifier comme connaissance objective.

 

Une logique situationnelle objective pourra provenir d’une relation objective entre les contenus objectifs de deux théories ou encore d’une situation de problème objectives (Popper, 1991, p. 184). Bien entendu, ce type de logique objective est apte à influencer les manifestations subjectives de la pensée (Popper, 1991, p. 185).

 

Le Kaiser manuscrit. Image numérisée depuis une diapositive.

Le Kaiser manuscrit. Image numérisée depuis une diapositive.

© Fratzel Descadres

L’œuvre d’art sur laquelle je travaille, le récit du 9 octobre 2018, rend compte d’une telle logique situationnelle objective. Comme les autres composantes du troisième monde, elle est immatérielle et son autonomie vis-à-vis la subjectivité est évidente puisque ni moi ni la personne qui a jeté ma sculpture n’avons prémédité cette œuvre nouvelle.  C’est l’exactitude rythmique avec laquelle elle s’est insérée dans mon exposé oral qui a permis que je la remarque. J’ai ensuite cherché à comprendre sa relation objective avec mon travail.

 

Afin d’intégrer cette matière immatérielle à ma production artistique, j’ai créé un nouvel objet en mesure de représenter l’art en tant qu’occupant indigène du troisième monde.

 

Un personnage fictif a tranquillement pris forme pour se greffer à mon récit mythologique. J'ai emprunté le Kaiser à la Deutschostafrika (territoires impériaux allemands en Afrique orientale de 1885 à 1919). Il s'agit du chef de cet empire qui n'a existé que 34 ans. Dans mon récit, le Kaiser est aussi une figure de conquérant. Il s’agit ici en revanche de la conquête du réel par l’art.

Le tablier du Kaiser. Image numérisée depuis une diapositive.

Le tablier du Kaiser. Image numérisée depuis une diapositive.

© Fratzel Descadres

À l'instar d'un projet artistique comme celui de Denys Tremblay qui a vu naître le personnage de l'Illustre Inconnu, élu Roi de l'Anse et interprété par l'artiste lui-même, l'œuvre que je propose émane d'une négociation entre l'art et le réel. Tremblay définit ses really-made comme le résultat d'une transaction continu et exemplaire entre l'art et la réalité.

 

Bien qu'ils fassent référence aux ready-made de Marcel Duchamp, les really-made s'en distingue en faisant entrer l'art dans la vie. Duchamp, comme bon nombre d'avant-gardes, a réussi à introduire des objets préfabriqués en industrie dans les institutions artistiques propulsant du même coup le concept derrière le geste artistique au lieu de la dextérité manuelle à l'avant-plan des préoccupations du milieu de l'art. Denys Tremblay, lui, va plus loin et introduit le geste artistique dans les contextes de la réalité.

 

Ce qui est prétendu dans le récit mythologique que je construis, c'est que l'art est déjà présent dans la réalité. Il est immatériel puisqu'il est de l'ordre de l'expérience, de l'événement. Je développe des moyens d'en rendre compte. En ce sens, je ne considère pas ma production matérielle comme des œuvres d'art. Je dirais plutôt qu'il s'agit d'artefacts qui guident notre attention vers l'œuvre.

 

Les jumelles du Kaiser. Image numérisée depuis une diapositive.

Les jumelles du Kaiser. Image numérisée depuis une diapositive.

© Fratzel Descadres

Le cas sur lequel je travaille présentement est l'événement du 9 octobre 2018 au cours duquel, non seulement une intervention sculpturale est subitement disparue, le personnage du Kaiser est apparu en moi. Il n'est pas arrivé entièrement constitué. Il y a eu la fécondation le 9 octobre 2018. S’en est suivi une période de gestation à l'intérieur de moi, caractérisée par une forte croissance.

 

Le décor et l'architecture rythmique du récit étaient palpables dès le trimestre d’hiver 2019. Depuis, ils se sont grandement définis.  Plusieurs accessoires, éléments de costume et de décor du Kaiser sont à présent apparents. On l’aura désormais vu de la tête au pied sur des photographies qui ont été diffusées à l’occasion d’une exposition à la Galerie du Collège d’Alma pendant la rentrée culturelle 2021.  J’en suis à la fois l'interprète et le photographe.

Le Kaiser est falsettiste. Image numérisée depuis une diapositive.

Le Kaiser est falsettiste. Image numérisée depuis une diapositive.

© Fratzel Descadres

Le Kaiser porte un tablier et regarde le monde à travers une paire de jumelles. Il y a, dans ses cheveux crépus, une corne de licorne. Adepte d’horticulture ornementale et falsettiste, le Kaiser manuscrit et s’adonne au mic drop. Il représente le pivot sur lequel ma conception de l'art a changé. C'est par lui que l'interface est révélée. 

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