top of page

Voici maintenant le cas qui est à l’étude dans ma recherche. L’événement décrit dans les lignes qui suivent a modifié la trajectoire de mon parcours scolaire ainsi que mon travail de recherche-création.

 

Le jeudi 4 octobre 2018, nous avions un exposé oral de prévu dans le cadre du cours de méthodologie.  Notre professeure nous avait proposé la brillante idée de les filmer et de se soumettre ainsi à un exercice d'autocritique.  Puisque le concept d'interface est fondamental dans mon sujet de recherche, je trouvai pertinent de faire momentanément sortir mon exposé oral du cadre de l'appareil vidéographique.

 

J'ai donc entrepris d'installer une petite intervention consistant en une sculpture en plusieurs pièces déposées au sol devant le local A1-1050, salle de séminaire des cours de maîtrise en art.  Au moment opportun, j'inviterais mes collègues à me suivre hors du local et hors du champ du cadre de la caméra pour vivre une discussion autour d'une œuvre antérieure qui me semblait faible. 

Diapositive_A1-1050

Plaque signalétique du local de séminaire de la maitrise en art de l'UQAC. Image numérisée depuis une diapositive.

© Fratzel Descadres

Malheureusement, nous n'avons pas terminé le cours parce que notre professeure manquait de concentration due à une violente grippe qui venait tout juste de se déclarer presque devant nos yeux.  Nous avons convenu de reprendre le cours le mardi suivant, pendant la semaine de lecture.  Je décidai de laisser ma sculpture là où je l'avais déposée bien que je n’eusse demandé aucune autorisation avant de poser ce geste.

 

Le matin du 9 octobre 2018, mon intervention devant le A1-1050 est toujours là.  Bien joué!  Mon exposé oral se passe comme prévu.

_____________________________________________________________

INTÉRIEUR    -    LOCAL A1-1050       -      JOUR

Éclairés par la lueur du projecteur, les ÉTUDIANTS et l’ENSEIGNANTE sont silencieux et semblent captivés par les propos que tient FRATZEL DESCADRES (34) dans son exposé oral.

FRATZEL DESCADRES

(avec calme et assurance)

 

Souvenirs, mémoire, oubli.  Glissement, récit, mouvement.  Fiction, illusion, canular.  Appareil, machine, technologie/objet, design.  Rapport de l'individu aux médias, de la collectivité aux médias/ interactivité, installatif.

 

NARRATEUR

(pensées de Fratzel Descadres en voix hors champ)

 

Je vous donne les mots clés.  Je connais ma matière.

 

FRATZEL DESCADRES

(un peu fébrile)

 

…euh…je vous inviterais à aller regarder, dans le corridor, j'ai installé une œuvre...

FRATZEL DESCADRES ouvre la porte du local pour engager une discussion autour de sa sculpture avec ses COLLÈGUES. Surpris et dubitatif, l’ensemble du GROOUPE constate l’absence de l’intervention. Les petits objets ne sont plus là où ils se trouvaient quelques minutes auparavant.

__________________________________________________________

J'ai donc été contraint d'improviser la mise en récit de mon intervention, renforçant du même coup les propos que j'étais en train de tenir dans mon exposé oral. Je m’appliquais depuis une quinzaine de minutes à traiter de la place de l'interface dans mon intention de recherche. Soudainement, à cause de sa disparition inattendue, mon intervention est passée de l’état matériel d’amas de sculptures au sol à celui de récit immatériel à travers une médiatisation orale.

Image fixe tirée de la captation vidéo de mon exposé oral dans le cours de méthodologie du 9 octobre 2018

Image fixe tirée de la captation vidéo de mon exposé oral dans le cours de méthodologie du 9 octobre 2018

Cet événement fortuit est venu modifier profondément mon parcours. Effectivement, j'ai tout de suite senti le potentiel qu'il représentait pour ma recherche. J’ai alors fait le choix de le reprendre et de le raconter de manière à produire une nouvelle mythologie.

 

Concrètement, mon objectif est de produire une œuvre d'un genre nouveau, du moins dans mon cheminement personnel jusqu'à présent. Il s'agit d'une œuvre immatérielle au caractère évanescent, du genre gazeux.  L'œuvre se présente sous la forme d'un récit que j'utilise à titre de matériau comme les objets fabriqués par l'industrie qui sont devenus des Ready-made.  Ce récit est quant à lui le fruit d'une mutation que j'ai décidé d'opérer dans un élan duchampien sur un événement plutôt anodin en apparence pour le transformer en mythe.

 

Le but de cette opération de déplacement est de braquer les projecteurs sur l'espace qui oppose le mythe de l'événement duquel il provient.  C'est à l'intérieur de cet espace que se cache l'interface et c'est elle que je veux révéler par la diffusion multidisciplinaire du récit de la sculpture disparue. En opérant de multiples passages entre le monde réel et le monde virtuel, je compte faire apparaitre la frontière qui les sépare.

 

Le récit ne constitue pas le cœur de ma recherche à proprement parler.  Il me sert plutôt à asseoir les fondements de mon sujet de recherche qui tente de poser un regard sur l'interface communicationnel et son implication dans l'élaboration et le maintien de structures sociales.

 

L'intégration de la mythologie représente une nouvelle expansion dans mon travail. Au lieu de resserrer le concept d'interface comme je le souhaitais au début de ma maîtrise en art, je l'ouvre jusqu'à y inclure la tradition orale, le langage et l'écriture. Ce site web ne porte pas uniquement la fonction de décrire mon sujet, il est une occasion de plus pour diffuser mon récit.

 

Le mythe, tout comme l'art d'ailleurs, use de méthodes non scientifiques pour faire sens de l'existence. Plutôt que d'étudier la matière, il étudie les événements et les relations qu'ils entretiennent entre eux. Chaque mythe fait appel à des symboles qui lui sont propres. Des protagonistes y sont en interlocution pour établir un système de valeurs qui à son tour aura une incidence sur les structures et les institutions de la société qui y adhère.

 

La mythologie m’intéresse parce qu'elle s'avère à être une autre forme de mise en récit au même titre qu'avec les médias modernes ou les mises en scène installatives. Un mythe est une interface comme un ordinateur portable, la radio de Radio-Canada ou Mario Kart au Nintendo 64. Là encore, un monde virtuel, souvent peuplé d'êtres humains interagissant avec des êtres surnaturels fictifs, négocie une relation avec le réel.

Caméra de sécurité en haut de la porte du local de séminaire de la maitrise en art de l'UQAC.

Caméra de sécurité en haut de la porte du local de séminaire de la maitrise en art de l'UQAC. Image numérisée depuis une diapositive.

© Fratzel Descadres

Depuis que j’ai choisi de révéler l’interface en construisant une mythologie autour d’un événement vécu, il m’apparait évident que je doive définir les caractéristiques subjectives des protagonistes du récit ainsi que le contexte dans lequel l’événement a eu lieu. N’appartenant pas au domaine de l’informatique ou du design, mon travail n’est pas sujet aux impératifs d’efficacité et de qualité de la même façon.

   

C’est en assumant le caractère phénoménologique et en reconnaissant l’influence du contexte dans lequel ma sculpture a disparu le 9 octobre 2018 que je compte construire mon récit mythologique. Évidemment, mon exposé oral s’est déroulé dans le contexte académique d’une formation en art et les témoins de la disparition de ma sculpture sont des artistes, mes paires.

 

Muni d’une pratique multidisciplinaire, je produis des artefacts de toutes sortes pour transmettre de l’information relative au récit. Tout comme les photographies, les vidéos, les sculptures, les interventions, les ready-made, les conférences, les performances et les trames sonores, ce texte a pour but de faire vivre à son lecteur une expérience lors de laquelle l’interface sera révélée à travers le récit du 9 octobre 2018.

bottom of page